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Comparution du RAM au comité permanent du Patrimoine canadien

Rémunération pour les artistes et créateurs : comparution du RAM au comité permanent du Patrimoine canadien


 

Notes d’allocution de David Bussières, porte-parole du Regroupement des artisans de la musique

 

Bonjour chers membres du comité,

David Bussières, auteur-compositeur-interprète, membre du duo Alfa Rococo et également fondateur et porte-parole du RAM, le Regroupement des artisans de la musique.

J’aimerais commencer mon allocution par un exemple réel et assez frappant de l’iniquité dans le mode de rétribution des créateurs et de tous les intervenants du secteur de la musique du Canada et du Québec dans le contexte de la venue du nouveau mode de consommation de la musique qu’est le streaming.

Dans le but de répondre à la fameuse question « Combien vaut un stream » , j’ai fait l’exercice de rigoureusement analyser tous mes rapports de redevances de droits d’auteur, droits voisins et redevances artistiques pour une chanson, sur une période donnée.

Alors, voici le résultat, sachant que nous possédons tous les droits d’auteur de la chanson et que nous avons une situation contractuelle très favorable avec notre label.

  • La chanson s’intitule Lumière. Elle avait alors eu un certain succès auprès du public.
  • La période s’échelonne sur 18 mois, du 1er avril 2014 au 30 septembre 2015.
  • Après avoir généré 30 000 écoutes sur Spotify, nous avons reçu 10,80 $, ou 0,036 ¢ par écoute.
  • Après avoir généré 60 000 vues sur Youtube, nous avons reçu 153,04 $, soit 0,5 ¢ par vue.
  • En comparaison, la chanson a atteint le numéro 5 BDS avec approximativement 6 000 rotations, pour 17 346,89 $, soit 2,89 $ par rotation.

Alors on peut constater qu’advenant le fait que les ventes de disques physiques et numériques disparaissent complètement, et que la radio musicale soit éventuellement remplacée par l’écoute de musique en ligne, les redevances en droits d’auteur sont loin de combler le manque à gagner. Le streaming est un système parfait pour l’utilisateur. Qui ne rêve pas d’avoir la discothèque mondiale au bout de ses doigts…

Mais pour les artistes et l’industrie d’ici, c’est autre chose.

Si on est une star internationale propulsée par un major et que l’on génère 1 milliard d’écoutes par chanson, ça va encore.

Mais si on crée de la musique à vocation locale diffusée au Canada ou encore de la musique francophone au Québec (sachant que les gens d’ici aiment la musique d’ici), où même les plus grands succès peinent à générer 1 million de streams, dû à la grandeur limitée de notre marché, c’est une catastrophe.

La réforme de la loi sur le droit d’auteur est une question de vie ou de mort pour les artistes d’ici.

Et elle devrait s’accompagner d’une réforme de la loi sur les télécommunications et d’une mise à jour du régime de la copie privée, afin que les fournisseurs d’accès Internet et les fabricants d’appareils soient dans l’obligation de contribuer à la rétribution des créateurs d’ici.

Car le premier grand gagnant de l’écoute en continu, c’est le fournisseur d’accès Internet. Pour écouter des vidéos ou de la musique en continu, on a besoin de lui. Dans ce domaine, il y a de grands acteurs qui offrent des forfaits. Ils bénéficient du dépassement de l’écoute de la musique, de films et de vidéos en continu. Ils facturent des frais importants de dépassement, si bien que le consommateur décide d’augmenter son forfait de données mobile et de téléchargements à la maison. Le fournisseur d’accès Internet fait de la captation de valeur.

Vient ensuite le fabricant d’appareils, qui, lui aussi, est indispensable dans la chaîne d’accès au contenu musical et audiovisuel. Les gens veulent avoir accès à ces contenus partout, à toute heure du jour et sur plusieurs appareils. Téléphone, tablette, ordinateur portable, etc. Quelle portion de l’utilisation de ces appareils est dédiée au contenu culturel? Il serait bien intéressant de le savoir.

Finalement, c’est le canal de distribution qui encaisse en minimisant son risque. Le consommateur reçoit le signal que d’écouter l’œuvre ne coûte pas cher, mais que l’accès au réseau de distribution se rémunère à fort prix.

Le client paie implicitement pour le contenu gratuit ou accessible à faible prix en ligne, il a juste transféré une partie de l’argent qu’il donnait autrefois au magasin de disque ou au club vidéo, vers le fournisseur d’accès Internet et le fabricant d’appareils.

Car au fond, combien les Canadiennes et les Canadiens paient-ils pour avoir accès à de la musique en streaming?

Sachant que :

  • Les abonnements aux plateformes coûtent 9,99 $ par mois, ou sont parfois gratuits, certes.
  • Un abonnement mensuel à un service Internet à la maison coûte au moins 60 $, sans compter les dépassements qui peuvent occasionner des frais supplémentaires.
  • Et l’internet mobile sur le téléphone coûte au moins 30 $.
  • Le coût de l’appareil varie selon les forfaits et la qualité de l’appareil. Mais neuf, un iPhone coûte très cher.
  • On en conclut donc qu’il en coûte au moins 100 $ par mois, sans compter le ou les appareils, afin de pouvoir accéder à de la musique et du contenu audiovisuel en streaming.

De tout cet argent, seul une infime fraction de l’abonnement à 9,99 $ à la plateforme de streaming revient aux créateurs, après avoir passé dans le moulin de tous les intermédiaires. Il en résulte donc le 0,03 ¢ par écoute cité plus haut.

Voici 3 points de la plateforme du RAM qui résument bien notre position sur ce sujet :

  • Point 7 : S’assurer que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) soient responsables de payer des redevances aux ayants droit de la musique à laquelle ils donnent accès.

    Nous proposons de supprimer l’exception existante dans la Loi sur le droit d’auteur concernant les FAI (article 2.4 (1) b) qui les exempte actuellement de la responsabilité de payer des redevances s’ils ne font office que de fournisseurs d’accès. En supprimant cet article, il sera possible de déposer un tarif à la Commission du droit d’auteur visant les FAI.

    b) n’effectue pas une communication au public la personne qui ne fait que fournir à un tiers les moyens de télécommunication nécessaires pour que celui-ci l’effectue;

  • Point 8 : S’assurer que les FAI contribuent financièrement au développement de la musique canadienne.

    Nous proposons que les instances décisionnelles modifient la Loi sur les télécommunications et la Loi sur la radiodiffusion pour rendre possible l’imposition d’obligations aux fournisseurs d’accès à Internet visant le développement et la promotion de la musique canadienne et sa visibilité.

  • Point 9 : Étendre le régime de la copie privée à tous les supports audionumériques permettant de copier la musique.

    Nous proposons au gouvernement de modifier la Loi sur le droit d’auteur de manière à étendre son application à tous les supports audionumériques et à restreindre les exceptions qui permettent la reproduction à des fins privées par les usagers.

En conclusion, on peut dire que les artistes sont le dernier maillon de la chaîne alors que leurs œuvres sont le fondement même de toute une industrie.

Il est faux de dire qu’il n’y a pas d’argent dans le secteur de la musique. En fait, les gens n’ont jamais payé aussi cher qu’aujourd’hui pour écouter de la musique. L’argent est simplement mal dirigé. Il est capté par des entreprises avant de se rendre aux créateurs.

Avant qu’un simple centième de sou revienne aux créateurs, le fabricant d’appareils aura fait beaucoup de profits, le fournisseur d’accès à Internet aura fait beaucoup de profits et la plateforme de streaming aura payé ses employés et fait fructifier son entreprise. Ensuite, le distributeur numérique prendra sa part, avant de verser le reste au label (souvent subventionné d’ailleurs), qui prendra également sa part, avant de verser les miettes restantes à l’artiste.

Si on s’arrêtait dans la rue pour expliquer ça en détail à chaque citoyen qui consomme de la musique, je crois qu’il serait outré de voir que son dollar ne va pas, ou très peu, aux artistes qui ont créé les œuvres qui le font vibrer.

Ce n’est pas vrai que l’art n’est qu’un divertissement. Ce n’est pas vrai que l’art n’est qu’une entreprise. L’art est l’âme de notre société. Si on néglige nos créateurs, c’est l’âme de notre pays qu’on laisse mourir et brûler sur l’autel de la mondialisation.

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